ArtWar(e) est un projet artistique et curatorial en cours d’élaboration, qui détourne les technologies les plus perverses de surveillance et d’archivage en temps réel de la pensée, comme Facebook. Le site est présenté comme une « agence de gestion des risques artistiques » et de « curating assisté par ordinateur », mais c’est aussi un projet de recherche sur l’économie des formes esthétiques et des concepts, dans le contexte du réseau.
Un de ses objectifs est de visualiser dans les réseaux sociaux, des vagues d’émergence, d’obsolescence, et des phénomènes d’import-export de concepts artistiques, comme de repérer des formats. Contrairement à l’histoire de l’art qui nomme les formes une fois qu’elles sont devenues identifiables et formatées, ArtWar(e) cherche à repérer ces tendances au moment de leur émergence, alors qu’elles n’ont encore aucun nom et qu’elles n’ont pas reçu le label d’art.
ArtWar(e) propose également de dévaluer la posture du commissaire d’exposition, dont la « perte d’aura » devient manifeste : dans le dispositif de production-consommation des processus créatifs, il se situe en « bout de chaîne ». Lorsque les processus sous-traités par le dispositif machinique sont incapables de remplir leur rôle et entrent dans une phase d’indécidabilité, le commissaire intervient et interrompt le traitement de façon arbitraire.
L’idée de départ est d’importer brutalement la notion de « cycle de Hype », qui modélise les phénomènes d’alternance entre hype et désillusion (ou entre utopie et dystopie), depuis le champ du marketing et des nouvelles technologies, vers le champ de l’art et des concepts. Les cycles de Hype ont été introduits dans les années 1995 par la société de consulting américaine Gartner, qui remarque que les produits de nouvelles technologies suivent toujours une même courbe d’émergence et d’obsolescence. Cette courbe présente deux temps : au premier temps, un buzz nait autour du produit émergent, mais, étrangement, après un pic de visibilité, l’idée sombre dans l’oubli. Or, selon Gartner, ce n’est que la première phase du cycle de Hype, prélude à l’implémentation économique qui est sur le point de se produire. Dans cette première phase de Hype, dématérialisée, spéculative et très concurrentielle, le concept est testé, mis à l’épreuve, et, de tous les concurrents, il n’en restera qu’un petit nombre, qui va réussir à matérialiser le produit sur le marché dans sa forme éprouvée, vers la phase d’implémentation économique. Il finira ensuite sa vie dans une obsolescence naturelle ou programmée.
Alors que les conditions qui président à l’émergence du concept et la localisation de son point d’origine restent mystérieuses et imprévisibles, le processus par lequel ce concept se propage et se négocie au travers des frontières du corps social, semble, au contraire, plutôt cyclique et reproductible. Ce sont ces cycles d’import-export, constitutifs de la dynamique du capitalisme cognitif, qu’ArtWar(e) a l’ambition de déconstruire.
Les concepts transitent de communauté en communauté (underground, corportate, design, marketing, mainstream, politique etc.), suivant des temporalités diverses, mais ne sont pas nécessairement identifiées en tant que tels. Ceux qui parviennent à nous ne constituent très certainement qu’une infime partie d’un monde diffus, où la plupart des phénomènes restent en général indétectables, qu’ils soient inaperçus, car sur des temporalités lentes, ou bien masqués, refoulés, déniés, dans les stratégies d’import-export.
Au moment de son importation dans le mainstream, soit lors de la deuxième phase du cycle de Hype, le marché, la critique ou l’histoire, valideront le concept et feront de la vaguelette imperceptible, une forme historiquement identifiée.
Collaborateurs : Christophe Bruno, Chrystelle Desbordes, Samuel Tronçon